Les suggestions lecture du 6 avril 2019
Chrystine Brouillet nous partage ses coups de cœur littéraires de la semaine!
À voir aussi : Livre : «Pierre Bruneau : Même heure, même poste»
1. La goûteuse de Hitler
Rosella Postorino
Albin Michel
Son mari parti à la guerre, Rosa vit chez les parents de celui-ci où des SS viennent un jour la chercher afin qu’elle remplisse le rôle de goûteuse pour Hitler, terrorisé à l’idée d’être empoisonné. Alors que ses compatriotes ont faim, Rosa et ses collègues mangent des plats délicieux, mais peut-on vraiment savourer un gâteau lorsqu’on croit qu’il peut causer notre perte? Rosa s’habitue pourtant à cette situation étrange, à la proximité avec ses collègues avec qui elle partage les mets : une complicité naît entre elles malgré tous les secrets qu’elles doivent taire, malgré les regards de leurs geôliers, malgré l’angoisse et la solitude qui engendrent certaines lâchetés.
Inspiré de la vie de Margot Wölk, ce roman bouleversant, au sujet si original, est d’une rare puissance, jouant sur tous les registres, mêlant l’intime à l’universel avec une rare maîtrise. Ensorcelant, implacable, inoubliable!
2. Ma dévotion
Julia Kerninon
Annika Parance Editeur
Ils ont une douzaine d’années quand ils se rencontrent à Rome, en 1950, Helen ne peut deviner que Frank occupera tant de place dans sa vie. Toute la place. Ils s’installent à Amsterdam où Frank se découvre un talent fulgurant pour l’art, tandis qu’elle se consacre à l’édition, aux mots. Des mots qu’elle sait écrire, mais qu’elle n’arrive pas à proférer. Des mots d’amour que Frank lui inspire, mais qu’est-elle réellement pour lui? Quand elle le retrouve après une très longue éclipse, elle parle enfin...
Et la voix d’Helen nous captive aussitôt, empreinte de cette «nostalgie qui a toujours été une sorte de religion pour elle», envoûtante mélopée d’une profondeur inouïe où la subtilité de l’analyse tout comme l’exposition à la fois passionnée et clinique des sentiments nous laisse béats d’admiration.
3. L’empreinte
Alexandria Marzano-Lesnevich
Sonatines
L’auteure, farouchement opposée à la peine de mort, est étudiante en droit à Harvard lorsque sa route croise celle de Ricky Langley, un tueur arrêté en Louisiane qui a avoué avoir tué le petit Jeremy. Les déclarations de cet homme qui a reconnu sa pédophilie ébranlent les convictions d’Alexandria Marzano-Lesnevich : pourquoi pense-t-elle tout à coup que cet homme doit être exécuté? En cherchant des réponses, elle découvre un lien avec son propre passé et met à jour un terrible secret.
Ce récit poignant qui tient du journalisme d’investigation par la rigueur des recherches est aussi prenant qu’un thriller, palpitant, choquant, dérangeant, servi par une plume remarquable et les images fulgurantes, disant l’indicible avec une force remarquable, multipliant les points de vue, abordent des questions fondamentales avec une grande virtuosité.
4. Cette part d’obscurité
Michel Dufour
Sémaphore
Il y a Thomas qui déteste l’école, les profs, les filles qui ne le regardent jamais, qui rêve de se venger, il y a Christophe qui vole une jupe à sa sœur, il y a un écrivain fantôme qui tient un peu du vampire et il y a tous ces aînés qui doivent affronter la vieillesse, Armand qui échappe à la surveillance de son épouse, un homme qui a oublié son nom, Emilienne qui peut prévoir le temps, mais qui s’en soucie? Qui se soucie d’eux, de leur solitude, de leur détresse?
Michel Dufour, très certainement, qui avec ces nouvelles explore avec une précision presque chirurgicale l’âpreté, la cruauté, l’indignité du quotidien des personnes âgées. Avec autant d’empathie que d’ironie, l’auteur décrit cette réalité mieux que bien des études sur ce sujet...
5. Histoires de filles à la télé
Sophie Bérubé/Josée Bournival/Nathalie Roy
La Goélette
Sofia, productrice d’un talk-show, doit démontrer beaucoup de souplesse et d’énergie pour parvenir à régler tous les problèmes qui surgissent lors de la préparation et l’enregistrement d’une émission, qu’il s’agisse d’une vedette à l’égo démesuré et aux exigences exagérées ou d’un conflit avec la directrice des variétés...qui est l’épouse de Maxime, son amant. Si la vie de Sofia n’est pas simple, elle est trépidante et entraînante car Nathalie Roy parvient à rendre le rythme survolté du monde de la télévision avec beaucoup d’esprit et d’aisance. Tout comme ses complices, Sophie Bérubé et Josée Bournival qui traitent de cet univers avec humour et une lucidité qui nous permet de voir «l’envers du décor» : qu’il s’agisse du milieu journalistique dans lequel évolue Chloé ou du rôle d’animatrice qu’endosse Marie-Candy. La compétition féroce, les changements constants, les jalousies, mais aussi les amitiés et la beauté du travail en équipe sont bien exploitées à travers ses trois divertissantes novellas.
6. Plutonium
Camille Bouchard
Boréal inter
Marie-Louise, adolescente, a dû fuir la guerre qui sévit en Europe et s’est réfugiée chez son oncle à Los Alamos, au Nouveau-Mexique où elle songe souvent à sa correspondante japonaise Yuriko dont il est si difficile d’obtenir des nouvelles en ces temps troublés. Elle aimerait lui raconter cette explosion terrifiante qu’elle et son cousin ont vue dans le désert, l’atmosphère de suspicion qui règne dans cette ville où les militaires font des tests. Mais des tests de quoi? D’une arme nucléaire. Deux bombes seront lâchées sur Hiroshima et Nagasaki : Yuriko sera témoin des atrocités qu’elles causeront.
Parvenir à travers les récits des deux adolescentes à évoquer les jeux de pouvoir des grandes puissances et les atrocités qui découlent de leurs décisions avec autant de vérité que de poésie est un véritable tour de force qu’a brillamment réussi Camille Bouchard. À mettre entre les mains de tous les adolescents!
7. La corde à linge
Orbie
Les 400 coups
Réal a 5 ans et dévale l’escalier qui mène au dépanneur juste en bas de chez en tirant le nœud de la corde à linge parce qu’il aime le bruit qu’il entend alors. Mais un matin, trop pressé, il perd pied et s’agrippe à la corde à linge pour ne pas tomber dans l’escalier. Et il attend qu’on vienne l’aider à descendre. Parce qu’il a peur de sauter, c’est tout de même haut. Mais personne ne vient...
Quelle idée originale! On sourit à la mésaventure de Réal si sympathique et aux illustrations pleines de fraîcheur et de vivacité. Vraiment chouette!